LE TRAVAIL DE DEMAIN



Ces Tiers-Lieux où s’invente le travail de demain
par Catherine Courson

La question du travail, des technologies numériques et de l’automatisation industrielle rejoint celle du changement climatique en deux points : l’urgence de penser leurs enjeux à moyen et long terme sur le plan humain et économique, et la nécessité de les assumer en opérant une révolution industrielle et énergétique à la fois radicale et progressive. L’idée n’est pas de faire table rase mais de mettre en place les moyens éthiques, juridiques et matériels d’un changement de paradigme, plutôt que de perfuser un système sans avenir(1).
La fin d’un modèle économique basé sur le consumérisme et la fuite en avant
Le modèle industriel des Trente Glorieuses (taylorien-fordien) que patronat et syndicats s’acharnent à sauver de concert – dans la discordance, certes – est en sursis. Pour qu’il perdure, il nous faut consommer plus et jeter vite pour produire et consommer toujours plus... C’est le jackpot pour l’industrie du recyclage qui, comme le PIB, se soucie peu de ce que l’on consomme et de ce que l’on jette. Dès lors, on comprend pourquoi le dogme de la croissance est essentiel à la survie de ce système, et comment s’instaure une économie de l’incurie : concept développé par le philosophe Bernard Stiegler et Ars Industrialis(2), désignant un dispositif dont la structure même empêche les individus de prendre dignement soin d’eux-mêmes, du vivre ensemble et de la Terre qui les (sup)porte.
Ce système piloté par ‘’la main invisible du marché’’ est paradoxal : d’une part il crée de la fausse abondance en dévorant les ressources finies de notre planète (mais néglige ses richesses renouvelables qui lui rapportent moins) ; d’autre part il crée artificiellement de la rareté en instaurant la propriété intellectuelle sur les ressources infinies de l’intelligence humaine. Le bon sens suggère de faire l’inverse : libérer la connaissance du carcan des brevets, pour polliniser la créativité des individus et l’intelligence collective d’une société enfin collaborative et évolutive, amie de la Terre.
Le modèle de l’open source (ex. wikipédia) et du logiciel libre nous en montre le chemin. Sa logique humaniste atteste que le défi n’est pas de combattre le numérique ou les machines mais l’automatisation des esprits, défi qui exige de développer un niveau de conscience à la hauteur du niveau de puissance/d’impact de nos outils (dont internet) : c’est une règle de sécurité élémentaire, indissociable de la question : pour quels usages, répondant à quels besoins et avec quelles conséquences ?
Émergence d’un modèle basé sur le travail libéré et l’intelligence collective
La 3ème révolution industrielle, porteuse d’une économie de la contribution, est déjà à l’œuvre. Elle est discrète car elle se réalise par le bas, portée par la puissante vague de fond de la réflexion et de l’initiative citoyenne, notamment au sein des Tiers-Lieux(3). Ces nouveaux espaces de travail - fixes ou éphémères - se structurent autour d’outils modernes, de valeurs fortes et de règles favorisant :
  • le bien-être individuel et le faire ensemble : chacun trouve un sens et du plaisir à son travail, alliant autonomie et partage d’un lieu, de compétences et de savoirs (coworking, POC21…
  • l’efficacité : pas de bureaucratie ni de hiérarchie : on est dans un écosystème responsable, cogéré et apprenant, où ‘‘l’échec’’ est une ressource inhérente à la créativité (gouvernance sociocratique…)
  • la production et la relocalisation : on fabrique des objets pour répondre à des besoins locaux, et des pièces de rechange pour sortir de la société du jetable (makerspaces, fablabs, fab cities…).
Techniquement, le régime des intermittents pourrait servir de matrice à un nouveau contrat social, permettant d’imaginer un revenu contributif basé sur la séparation du travail et de la rémunération. A nous de multiplier les laboratoires du changement sociétal en utilisant les ressources de nos territoires !
septembre 2015, article paru dans le bulletin de l’association audoise AVEC

Références
(1) Transition vers une Économie à Valeurs Humaines : Michel Laloux, democratieevolutive.fr
(2) Économie de la Contribution : Bernard Stiegler & Ariel Kyrou, L’emploi est mort, vive le travail ; arsindustrialis.org
(3) Tiers-Lieux : movilab.org, makery.info, makerfaireparis.com ; Entreprises libérées : film Le Bonheur au travail